Blogue | Un nouveau projet sur la précarité et la pérennité
Dans notre bulletin d'octobre 2024, nous avons présenté les trois priorités politiques du Centre pour l'année à venir. Le premier d'entre eux est la précarité et la durabilité des organismes artistiques, culturels et patrimoniaux à but non lucratif.
Les débats récents dans les médias sur la précarité dans le secteur des arts et de la culture se sont concentrés sur les fermetures de salles, les événements annulés et la baisse des recettes.[1] Il ne fait aucun doute que de nombreuses institutions artistiques et culturelles ressentent la pression de l'inflation et de la réalité post-pandémique sur leurs finances, ainsi que sur le bien-être des artistes et des travailleurs qu'elles emploient. Si ces défis financiers sont réels, ils ne sont pas nouveaux. Les discussions sur la précarité ne devraient pas se concentrer uniquement sur le financement.
Dans ce contexte de précarité sectorielle ou organisationnelle, les artistes et les organismes créent. Ils interagissent avec le public en lui offrant la possibilité de se divertir, de se connecter aux autres et de donner un sens à la période actuelle. Les technologies numériques ont entraîné une explosion de la création de contenu et de nouvelles possibilités de diffusion. Parallèlement, les artistes et les travailleurs culturels restent parmi les membres les moins bien payés et les plus instruits de notre société.
Comment donner un sens à cette précarité et à cette abondance en cette période déterminante, et comment cette analyse peut-elle orienter nos décisions politiques et nos systèmes de soutien des arts et de la culture?
Dans le domaine des arts et de la culture, nous peinons à adopter une vision systémique des répercussions ou des changements. Souvent, lorsque nous adoptons une telle approche, c'est pour considérer les arts et la culture, ou une discipline artistique, comme un système ou un secteur fermé dont la principale raison d'être est la création et la production d'œuvres d'art ou la protection du patrimoine culturel. Pourtant, les arts et la culture entretienne un dialogue permanent avec la population sur le plan de leurs expériences, leurs besoins changeants et leurs attentes. Ils sont présents dans la vie communautaire, dans les espaces physiques et virtuels, et dans la manière dont les personnes vivent et expriment leur identité.
Nous peinons également à collaborer et à partager les ressources pour apporter des changements, en partie parce que le système de soutien a longtemps exigé que chaque organisme adopte une démarche professionnelle et individuelle dans son travail. Le succès des organismes artistiques et patrimoniaux a été mesuré principalement en fonction de la valeur perçue (artistique ou autre) de leurs offres, de l'ampleur de leurs productions et du volume de fréquentation. Il s'agit d'un système colonial et eurocentrique dans lequel ceux qui ont été autorisés à y entrer depuis longtemps continuent à en bénéficier le plus. L'accès équitable aux ressources reste difficile pour celles et ceux qui se sont heurtés à des obstacles systémiques et qui ont été exclus de ce système, notamment les organismes dirigés par des Autochtones ainsi que ceux qui sont dirigés par des communautés en quête d'équité ou qui tiennent compte de leurs pratiques, notamment les communautés racialisées et les communautés sourdes et handicapées.
Ce système de soutien, et les politiques qui le sous-tendent, y compris ce que j'ai précédemment appelé un « modèle mixte » de soutien financier provenant de sources publiques, de sources privées et de revenus gagnés, était sous pression bien avant le début de la pandémie. Aujourd'hui, la pression est trop forte et le système se fissure. Pour y remédier, nous devons comprendre exactement où se forment les fissures. Nous devons examiner attentivement les données dont nous disposons pour dresser un tableau global de la situation. À partir de là, nous pourrons commencer à comprendre la marche à suivre.
De nombreux artistes, écrivains et chercheurs sont profondément engagés dans cette conversation, posant des questions provocantes et parfois difficiles sur l'identité, la pertinence et la valeur publique de nos méthodes de travail actuelles. Pour n'en citer que quelques-uns : Tanya Talaga dans ses conférences et son récent livre intitulé The Knowing; Alex Sarian dans son livre The Audacity of Relevance; Owais Lightwalla et SGS dans leur manifeste intitulé Manifesto for Now; David Maggs, boursier sur les arts et la société de la Metcalf Foundation, dans ses textes sur le concept des « besoins culturels »; les artistes et travailleurs culturels du Public Imagination Network œuvrant pour le changement hors des systèmes institutionnels; et Claude Schyer qui présente dans son balado conscient des conversations sur les arts et la situation d'urgence climatique. Il y en a beaucoup d'autres.
Au cours des deux prochaines années, le Centre de politique culturelle de l’École universitaire d’art et de design de l’Ontario (ÉUADO) entreprendra un projet axé sur le mappage des données et la transformation organisationnelle. Intitulé Mapping Drivers of Change Across Arts Organization (établir les vecteurs de changements au sein des organismes artistiques), le projet vise à soutenir une conversation stratégique nationale fondée sur des données probantes pour traiter de la précarité dans le secteur des arts et de la culture, et réfléchir à la transition vers un système de pratiques et de soutien artistiques et patrimoniaux plus durable, plus résilient et plus équitable.
Pour y parvenir, il est nécessaire de mieux comprendre les données et les causes profondes de la précarité des organismes artistiques, culturels et patrimoniaux au Canada. Dans le cadre de ce projet, nous analyserons ces données, et examinerons et diffuserons des mesures prises jusqu'à présent pour lutter contre la précarité et nous en tirerons des leçons, qu'elles aient été fructueuses ou non.
Dans le cadre des travaux, nous étudierons quatre dimensions de la précarité qui ont un impact sur les organismes culturels au Canada :
- les finances et la viabilité de l'organisme;
- le travail et la main-d'œuvre culturelle;
- la gouvernance et le leadership de ces organismes;
- la disponibilité et la pérennité des espaces culturels et patrimoniaux.
Les activités prévues dans le cadre du projet sur deux ans comprennent :
- Rassembler les données les plus récentes provenant des sources de données existantes (CADAC; MassCulture Arts Data Platform; Hill Strategies; Compte satellite de la culture; Observatoire de la culture et des communications du Québec, et autres) sur les quatre dimensions de la précarité décrites ci-dessus, et publier des rapports sur chaque dimension;
- Examiner avec des chefs de file et des chercheurs les tendances, les lacunes et les causes profondes de la précarité dans les arts et le patrimoine, afin de produire un rapport sur la réalité qui se cache derrière les chiffres et sur les lacunes dans ce que nous savons;
- Créer des outils d'apprentissage (études de cas, webinaires, etc.) qui mettent en lumière les approches organisationnelles concernant chaque dimension de la précarité et dont d'autres peuvent s'inspirer;
- Entamer des conversations avec les personnes qui posent ces questions dans le cadre de leur travail politique, universitaire ou créatif, afin d'éclairer les décisions stratégiques à tous les niveaux.
En conclusion, c'est la quatrième activité qui nous aidera à garantir que ce travail, ainsi que celui d'autres personnes ayant des conversations analogues, aura une incidence sur les politiques et les pratiques futures.
Les quatre dimensions de la précarité sont classées dans les catégories ci-dessus principalement parce que des sources de données existent déjà pour chacune d'entre elles et qu'elles peuvent être exploitées et étudiées. Mais ces données comportent des lacunes. Tout d'abord, le secteur ne dispose pas d'ensembles de données permettant de démontrer de manière fiable sa valeur sociale et culturelle globale. Depuis une dizaine d'années, de nombreux chercheurs et décideurs politiques s'efforcent de trouver des moyens pour articuler cet impact. Au Canada, les preuves les plus souvent citées sont les sondages d'opinion publique qui montrent que lorsque l'on demande aux Canadiennes et Canadiens si les arts et la culture contribuent favorablement à leur qualité de vie ou à leur sentiment d'appartenance, la majorité d'entre eux répondent par l'affirmative.
En outre, il existe peu de données sur les répercussions de l'urgence climatique sur la précarité dans le secteur des arts, de la culture et du patrimoine. Cette question fera partie des conversations avec d'autres personnes qui travaillent dans ce domaine, en particulier celles qui ont été directement touchées par les catastrophes climatiques ou qui travaillent à changer les systèmes pour renforcer la capacité à œuvrer en faveur d'une responsabilisation environnementale et d'une durabilité accrues.
Le Centre dialoguera avec ses partenaires à chaque étape du processus, comme c'est le cas pour l'ensemble de son travail. Si nous ne vous avons pas contacté et que vous souhaitez vous engager, n'hésitez pas à nous écrire à l'adresse culturalpolicyhub@ocadu.ca.
Ce projet est financé en partie par le gouvernement du Canada.
[1] Voir, par exemple, Josh O'Kane et J. Kelly Nestruck dans l'édition du 18 février 2024 du Globe and Mail : « Canadian theatre companies face a 'crisis' as economic woes continue in wake of pandemic » et Jean-Philippe Décarie dans l'édition du 4 mars 2023 de La Presse : « Un secteur culturel toujours fragile ».