Blog | Des audiences à l'écoute : C-11, le CRTC et l'engagement significatif
Le présent blogue fait suite à la série de conférences organisée par le Centre de politique culturelle au sujet du projet de loi C-11. On y souligne que, bien que la loi soit notable pour ses dispositions précises exigeant que le nouveau cadre de radiodiffusion soutienne les créateurs autochtones et ceux en quête d'équité, d'importants obstacles subsistent pour assurer un véritable échange avec les législateurs. On y soutient que la mise en œuvre de la loi est itérative et qu’elle devrait inclure des consultations continues avec les communautés, et préconise la création d'un groupe de travail par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) pour les membres des communautés ethnoculturelles et des communautés en quête d'équité.
En avril 2023, au terme de nombreuses années de consultations et de débats, le projet de loi C-11 est devenu une loi. Intitulée officiellement Loi sur la diffusion continue en ligne, cette nouvelle loi établit les fondements de la modernisation du cadre de radiodiffusion canadien par le gouvernement fédéral. La principale caractéristique de ce nouveau cadre est qu'il exigera, pour la première fois, que les services de diffusion en ligne contribuent à l'écosystème de production et de diffusion de contenu au Canada. Cependant, pour les peuples autochtones et les membres des communautés en quête d'équité, la loi est particulièrement importante en raison de ses dispositions qui exigent expressément que le nouveau cadre de radiodiffusion soutienne les créateurs autochtones et ceux en quête d'équité, y compris les créateurs issus des communautés noires ou d'autres communautés racialisées.
Après l'adoption de la loi, il revient au CRTC d'élaborer et de mettre en œuvre des règlements précis pour atteindre les objectifs généraux de la loi, dont ceux relatifs à la diversité. Alors que le CRTC s'engageait dans ce processus à plusieurs phases l'année dernière, le ministre du Patrimoine a publié une série d'instructions pour l'orienter. Ces instructions somment clairement le CRTC de solliciter les peuples autochtones et les membres des communautés en quête d'équité pour déterminer les outils et les mécanismes de financement nécessaires qui favoriseront leur participation à part entière au sein de l'industrie. Ces mandats reflètent directement la contribution des défenseurs de ces communautés au cours du processus de consultation sur le projet de loi C-11, et il convient de reproduire intégralement les instructions pertinentes :
Mobilisation
Peuples autochtones
14 Il est ordonné au Conseil, dans le cadre de sa réglementation du système canadien de radiodiffusion, de mobiliser les peuples autochtones et les partenaires, les corps dirigeants, les radiodiffuseurs, les créateurs, les producteurs, les organisations de l’industrie et les autres membres des communautés autochtones — et, ce faisant, de collaborer avec les ministères fédéraux concernés lorsqu’il est possible de le faire — afin de solliciter leurs observations, notamment sur les points suivants :
- a)la meilleure façon d’appuyer les entreprises de radiodiffusion autochtones afin d’aider à assurer la viabilité du secteur de la radiodiffusion autochtone;
- b)l’utilisation de conditions réglementaires qui favorisent le succès des modèles d’affaires qui offrent et reflètent les perspectives autochtones;
- c)la façon d’appuyer la découvrabilité d’émissions de créateurs autochtones;
- d)les outils les plus appropriés, notamment les mécanismes de financement, pour soutenir la narration et la production autochtones, ainsi que les organisations dirigées par des Autochtones qui pourraient gérer et être responsables de ce soutien;
- e)les mesures nécessaires pour veiller à ce que l’approche réglementaire du Conseil promeuve la réalisation des objets de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et appuie la souveraineté narrative dans le système canadien de radiodiffusion.
Groupes en quête d’équité et groupes ethnoculturels
15 Il est ordonné au Conseil, dans le cadre de sa réglementation du système canadien de radiodiffusion, de mobiliser les groupes en quête d’équité et les groupes ethnoculturels, notamment les communautés noires et les autres communautés racisées, afin de solliciter leurs observations au sujet :
- a)des outils les plus appropriés, y compris les mécanismes de financement, pour soutenir ces groupes;
- b)de l’élaboration d’un cadre d’objectifs mesurables pour soutenir la création, la disponibilité et la découvrabilité de la programmation faite par les membres de ces groupes[1] ou par des entreprises de radiodiffusion qu’ils exploitent.
En théorie, ce texte est très encourageant, notamment s'il est assorti d'une clause ultérieure enjoignant au CRTC de rendre cette mobilisation « aussi accessible que possible[2] ». Toutefois, en pratique, le CRTC n'a pas encore formulé de plans précis pour remplir ces mandats de mobilisation d'une manière ciblée, globale, concertée et accessible à tous.
Un certain nombre d'organismes représentant ces communautés ont été invités à participer aux audiences publiques organisées par le CRTC l'automne dernier sur les premières étapes de la mise en place du nouveau cadre réglementaire. Parmi ces organismes figurent le Bureau de l’écran autochtone, BIPOC TV and Film, et le Fonds canadien de l’écran indépendant pour les créateurs afro-descendants et racisés (FCEI), qui étaient également représentés lors de la récente table ronde sur le projet de loi C-11 du Centre de politique culturelle intitulée Entendre et écouter. Comme cette discussion l'a clairement montré, il subsiste d'importants obstacles à des échanges fructueux avec les législateurs, même pour les organismes invités à prendre la parole lors des audiences.
Par exemple, les audiences étant un processus quasi-judiciaire, les participants ont la possibilité de faire appel à des spécialistes de la réglementation et à des conseillers juridiques. Alors que les entités à but lucratif peuvent avoir accès à des équipes juridiques internes, les organismes à but non lucratif et les organismes communautaires n'ont généralement pas les ressources nécessaires pour faire appel à des avocats qui les aideraient à préparer leurs mémoires, et leur personnel a rarement la capacité de se familiariser avec des précédents ésotériques dans le domaine de la réglementation. Pour aggraver ces inégalités, les organismes communautaires qui ont participé aux audiences du CRTC à l'automne n'ont généralement eu droit qu'à cinq minutes pour faire leur présentation, soit la moitié de ce qui était généralement accordé aux représentants des entreprises commerciales de plus grande taille.
En tant que représentant du Racial Equity Media Collective (REMC), j'ai été invité à rédiger ce billet de blogue en réponse à la discussion organisée par le Centre afin de donner un aperçu plus détaillé du processus d'audience et de la promesse d'une « mobilisation significative ».
À titre de représentant de l'un des organismes de défense des intérêts communautaires qui ont eu la chance de participer aux audiences, j'ai choisi d'utiliser une partie de notre présentation de cinq minutes pour attirer l'attention du CRTC sur l'initiative qu'il a lui-même entreprise pour promouvoir les intérêts des communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM). Nous avons souligné que cette initiative pouvait servir de modèle pour le genre de mobilisation rigoureuse envisagée dans les instructions énoncées ci-dessus.
En 2006, le CRTC a établi le groupe de discussion CRTC-CLOSM comme un forum pour « favoriser l’épanouissement et […] appuyer le développement des CLOSM et […] promouvoir la dualité linguistique canadienne » conformément à la Loi sur les langues officielle[3]. Selon le CRTC :
Le groupe de discussion est un forum d’échange, de communication et de collaboration où les CLOSM et le CRTC peuvent déterminer des moyens et assurer le suivi nécessaire pour maximiser la participation des communautés aux processus publics du CRTC et prendre en compte leurs réalités dans les analyses et discussions du CRTC menant à des décisions, politiques et autres initiatives dans lesquelles le rôle du CRTC à l’égard des CLOSM est engagé.
Le groupe de discussion s’engage à se réunir au moins trois fois par an. Ces réunions se tiennent généralement au siège du CRTC, avec la possibilité de participer par conférence téléphonique ou vidéoconférence[4].
Dans une lettre de suivi envoyée au CRTC après notre présentation à l'audience, le REMC a demandé au CRTC de s'inspirer de l'exemple du groupe de discussion CRTC-CLOSM et d'établir un groupe de mobilisation pour les membres des communautés ethnoculturelles et en quête d'équité, y compris les communautés noires et les autres communautés racialisées. Nous envisageons que ce groupe de mobilisation du CRTC se réunirait régulièrement (trois fois par an) comme les CLOSM et constituerait un espace ouvert et coopératif, fondé sur l'échange et l'optimisation de la participation de nos communautés au processus de réglementation. Il serait exempt des pièges judiciaires des audiences publiques, éliminant les procédures juridiques qui représentent un obstacle important pour les organismes communautaires aux ressources limitées et sans avocat à l'interne. Au cours des audiences, les participants devaient répondre de mémoire à des questions spontanées sur des sujets complexes, une formule peu propice à une réflexion approfondie et détaillée. Par contre, nous imaginons qu'un groupe de mobilisation permanent du CRTC fournirait des ordres du jour détaillés à ses participants avant les réunions et, le cas échéant, permettrait aux participants de communiquer les réponses à des questions plus tard, qui seraient axées sur la collecte de données et la consultation communautaire.
L'établissement d'un groupe de mobilisation du CRTC réservé aux communautés en quête d'équité enverrait un message important, indiquant que le CRTC accorde une grande importance à ses mandats et reconnaît les barrières systémiques qui peuvent entraver la participation à ses débats ordinaires et à ses audiences publiques. Le groupe de discussion CRTC-CLOSM constitue un précédent incontestable quant à la manière dont le CRTC peut, de manière proactive, prévoir la mobilisation des communautés minoritaires et, à notre avis, il serait difficile pour le CRTC de justifier la création d'un groupe pour servir l'une des communautés visées, mais pas les autres[5].
Le CRTC ne semble pas avoir établi de critères publics pour la participation à son groupe de discussion sur les CLOSM, et je ne peux donc pas me prononcer sur la question de savoir si des critères semblables seraient appropriés pour déterminer la participation à un groupe de mobilisation pour les communautés en quête d'équité. Mais à notre avis, le groupe devrait certainement inclure des représentants du Bureau de l’écran des noirs et du CISF, étant donné qu'il s'agit des deux fonds de production indépendants agréés qui se consacrent exclusivement aux créateurs noirs et racialisés du secteur de l'écran. Nous pensons également que l’Office de la représentation des personnes handicapées à l’écran serait un participant tout naturel, puisqu'il s'agit du plus important organisme du secteur de l'écran représentant les personnes handicapées au Canada. Parmi les autres organismes qui ont participé aux audiences du CRTC à l'automne, les représentants de BIPOC TV & Film, de Reelworld Screen Institute, de la Coalition M.É.D.I.A. et de ADVANCE Music Canada seraient également bien placés pour contribuer à un groupe de mobilisation du CRTC pour les communautés en quête d'équité.
Nous espérons bien sûr que le CRTC fera des efforts supplémentaires pour inclure les organismes pertinents qui n'ont pas participé aux audiences publiques, reconnaissant que plusieurs de ces groupes pourraient avoir été écartés en raison d'obstacles tels que ceux mentionnés précédemment. Et compte tenu des considérations particulières applicables aux communautés autochtones, notamment les intérêts de souveraineté narrative, nous pensons qu'il serait approprié d'établir un groupe de mobilisation des peuples autochtones parallèle qui se consacrerait expressément aux mandats de mobilisation des peuples autochtones cités dans les instructions ci-dessus.
La dernière période de commentaires en réponse aux audiences du CRTC à l'automne s'est terminée le 15 février, et le CRTC ne s'est pas encore prononcé sur ses premiers constats, notamment sur son intention de créer un groupe de mobilisation pour les membres des communautés en quête d'équité. Cependant, le ministère du Patrimoine s'est engagé, à la fin de janvier, à verser 650 000 $ au Fonds de participation à la radiodiffusion (FPR) pour une période de deux ans, soit de 2023 à 2025. Le Fonds fournit un soutien aux groupes d'intérêt public qui comparaissent devant le CRTC, ainsi qu'un soutien à la recherche, à l'analyse et à la défense des droits. L'année dernière, les administrateurs du FPR ont annoncé que le fonds était largement sursouscrit et qu'il risquait donc de disparaître. Cette injection de fonds de la part du gouvernement était donc essentielle.
Mais le FPR ne peut pas à lui seul réduire tous les obstacles à la participation, notamment parce qu'il ne peut rembourser aux groupes que les frais admissibles déjà encourus. Compte tenu notamment des ressources juridiques et de lobbying pratiquement illimitées des diffuseurs en continu basés aux États-Unis, si les communautés en quête d'équité veulent jouer un rôle significatif dans la refonte du système de radiodiffusion canadien, il est urgent de créer un espace permanent de collaboration et de mobilisation auprès des décideurs politiques et des législateurs.
- La Gazette du Canada, Partie II, volume 157, numéro 24. Extrait : Décret donnant des instructions au CRTC (cadre réglementaire durable et équitable pour la radiodiffusion) (canadagazette.gc.ca)
- Groupe de discussion du CRTC | CRTC
- Ibid.
- Communautés de langue officielle en situation minoritaire comprises sous la rubrique « Mobilisation » des instructions émises par le ministre du Patrimoine au CRTC, sous les peuples autochtones et les groupes ethnoculturels en quête d’équité