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Blogue | Réflexions sur la cocréation de stratégies culturelles par l’engagement civique

Blogue | Réflexions sur la cocréation de stratégies culturelles par l’engagement civique

Par Patti Pon, Chargée des politiques, Centre de politique culturelle

Panel of guest speakers sitting in chairs.

En avril 2025, j’ai pris part à une table ronde lors de la sixième édition annuelle de DemocracyXChange (DXC) à Toronto, sommet qui réunit, célèbre et outille les personnes qui s’engagent en faveur d’un renforcement de la démocratie. Notre discussion, intitulée « Les arts et la culture comme leviers de mobilisation démocratique », relatait l’expérience de deux projets de participation citoyenne à Calgary et à Toronto qui ont intégré la pratique créative dans l’élaboration de stratégies artistiques et culturelles propres à chaque ville.

Dans ce blogue, je partagerai mes réflexions sur ces projets et les pistes de discussion qui ont permis de les développer. J’aborderai les processus d’engagement mis en place à Calgary et à Toronto, le rôle que les artistes et le milieu culturel peuvent jouer dans l’élaboration conjointe de politiques culturelles, ainsi que la manière dont les arts et la culture peuvent renforcer la résilience démocratique et la cohésion sociale.

 

Engagement civique, arts et culture : Calgary et Toronto

Jusqu’en 2014, le développement des arts à Calgary a évolué à travers divers stades qui ont façonné le paysage culturel de la ville. Bien que le financement public des arts à Calgary remonte aux années 1950, ce n’est qu’en 2004 que la ville s’est munie d’une politique municipale officielle en la matière. La création de l’organisme subventionnaire professionnel et centralisé Calgary Arts Development (CADA) l’année suivante a marqué un tournant majeur. Son objectif consistait à soutenir, développer et renforcer le secteur artistique de la ville. En 2012, Calgary a été désignée Capitale culturelle du Canada, et a lancé le tout premier Panel de référence des citoyens de l’Alberta dans le but d’élaborer une stratégie pour le secteur artistique. La démarche innovante de consultation publique s’est déroulée en trois étapes : la participation de plus de 100 artistes et travailleurs culturels ; un comité de 36 citoyens et citoyennes choisis au sort (par MASS LBP) ; et l’élaboration de 35 recommandations approuvées par le secteur, puis affinées en quatre domaines clés d’intervention.

Ce processus s’est conclu par le lancement, en 2014, de « Vivre une vie créative : une stratégie de développement des arts pour Calgary ». C’était la première stratégie artistique de la ville de Calgary, développée en collaboration avec MASS LBP. Ce processus a permis de redéfinir le rôle des artistes en tant que participants clés de la vie civique et d'informer des initiatives telles que des projets de mise en récit partout dans la ville, une stratégie d’infrastructure culturelle et le congrès annuel « Vivre une vie créative ». Les arts sont ainsi devenus un élément central des plans de développement urbain et le financement de CADA a augmenté de manière considérable. D’autres secteurs ont aussi reconnu les arts et la culture comme des éléments clés dans l’édification de la ville.

En Ontario, la planification culturelle de la Ville de Toronto a connu plusieurs étapes importantes, commençant par l’élaboration de son premier grand plan culturel en 2003. Ce plan a été révisé en 2011 dans un contexte de pressions politiques et de propositions de réduction de services, comme la fermeture de bibliothèques. En 2022, une approche post-pandémique axée sur un engagement communautaire plus important a été mise en place, ce qui a mené à l’élaboration d’un plan d’action intitulé « La culture connecte: Un plan d’action pour la culture a Toronto (2025-2035) » (en anglais uniquement) publié en 2024.

Conçu par Monumental, le plan d’action Culture Connects mené par la Ville de Toronto en collaboration avec le Conseil des arts de Toronto comprend deux volets. Le premier est un processus d’engagement approfondi au moyen de huit conversations communautaires avec des artistes et des membres de la communauté créative. Le deuxième consiste en une vaste campagne de sensibilisation par l’entremise d’assemblées publiques virtuelles, de sondages et de discussions animées par des artistes. Parmi les leçons tirées, mentionnons : un élargissement de la définition de la culture ; la reconnaissance des obstacles systémiques auxquels font face les artistes (p. ex., quant au logement et au transport) ; et un appel pressant à la responsabilisation et au renforcement des relations au sein du secteur.

 

De la concertation : intégrer l’opinion publique dans la stratégie culturelle

Pour qu’une concertation publique soit vraiment efficace, il est crucial de susciter une participation massive et significative. Consulter la population ne suffit pas : nous devons mener des discussions qui aboutissent à des idées concrètes et à des mandats clairs. Ces deux initiatives axées sur l’élaboration de plans artistiques et culturels se sont appuyées sur les méthodologies propres aux secteurs artistiques et culturels, conduisant à une représentation plus inclusive et réunissant des artistes, des résidents et des voix diverses pour mieux orienter le secteur. Lors d’une séance communautaire à Toronto, une humoriste a été invitée à animer la séance — et ce fut un franc succès. Lors du DXC 2025, un moment tout aussi marquant s’est produit : Andrew Zitcer et Shannon Litzenberger ont animé une séance de 90 minutes pendant laquelle 40 inconnus ont participé à des exercices simples de mouvement corporel pour instaurer la confiance et des liens, ce qui aurait pu prendre des heures dans un contexte normal. Pour clôturer l’événement, le duo dynamique Choir! Choir! Choir! a réuni toute l’assemblée pour chanter gaiement des hymnes à la liberté, emplissant la salle de musique, de rires et de centaines d’instants partagés sur les réseaux sociaux. À quand remonte la dernière fois où vous avez quitté une conférence avec un grand sourire, inspiré, le cœur rempli ?

Des exemples internationaux illustrent également cette approche : en Allemagne, des musées (comme la Bundeskunsthalle, une galerie d’art à Bonn, et le SKD, un musée d’arts décoratifs à Dresde) intègrent activement les recommandations citoyennes à leur programmation. La galerie New Art Exchange de Nottingham en est un autre exemple ; un comité citoyen permanent joue un rôle clé dans sa gouvernance. Ce ne sont là que quelques exemples de modèles qui soulignent l’importance d’intégrer la voix du public dans la prise de décision culturelle. De nombreuses études ont également montré un lien direct entre l’augmentation de la participation culturelle, l’inclusion et une implication accrue dans la vie politique et démocratique. Les données les plus récentes se trouvent dans le rapport de la Commission européenne : « Culture et Démocratie – les preuves: Comment la participation citoyenne a des activités culturelles améliore l’engagement civique, la démocratie et la cohésion sociale » (en anglais uniquement).

Les artistes peuvent jouer un rôle essentiel dans l’engagement civique en tant que leaders culturels, mais aussi en tant que citoyens actifs dont la voix façonne la vie communautaire. Comme l’a souligné une réflexion partagée lors du panel du DXC : si le but est de générer davantage de discours et de retombées innovantes, « excluez les artistes à vos risques et périls ». Les panélistes ont souligné que les initiatives de mobilisation qui ont su intégrer efficacement les artistes, en particulier comme animateurs et animatrices, ont favorisé une hausse de la participation locale grâce à un format flexible et accessible. Les effets durables de cette approche comprennent des projets de mise en récit percutants, l’intégration de la dimension culturelle dans l’urbanisme et des alliances solides à long terme. Ces efforts ont également posé les fondations pour des investissements importants et durables dans les infrastructures artistiques.

 

Qu’exige de nous ce moment particulier ? Appels à l’action pour les artistes et le secteur

Le contexte actuel requiert une forme d’engagement civique accrue, dont une implication active des citoyens dans la culture et dans le processus décisionnel. Il est essentiel que ces derniers se sentent valorisés, écoutés et que leurs contributions aient un impact. Adopter une démarche axée sur les arts pourra renforcer la confiance, optimiser l’utilisation des données et proposer des solutions adaptées aux besoins de la collectivité. Cela permettra de s’engager de manière tangible et perceptible, ce qui accroîtra la crédibilité et l’élan des démarches. Les processus ancrés dans les arts et la culture peuvent aider les gouvernements à mieux dialoguer avec les artistes, non seulement au sujet des enjeux qui touchent le milieu artistique, mais aussi sur une multitude d’enjeux sociaux. Cela peut inciter les gouvernements à être plus réceptifs aux critiques constructives et à s’engager dans des discussions difficiles ou délicates.

L’inclusion des artistes et des travailleurs culturels dans l’engagement civique va au-delà de l’expression ou du divertissement. Les acteurs culturels jouent un rôle majeur dans le rapprochement et la cohésion de nos communautés en nous aidant à voir les choses sous divers angles et en nous encourageant à nouer des liens plus profonds entre nous. Les expériences culturelles peuvent contribuer à éliminer les clivages sociaux et à impliquer davantage de personnes dans la construction d’un avenir commun. La recherche corrobore ces affirmations. Le rapport de la Commission européenne cité ci-dessus souligne l’impact tangible de l’engagement culturel sur la résilience démocratique et la solidarité sociale. Les recherches ont révélé que la participation aux activités culturelles est reliée à un civisme renforcé, à une plus grande ouverture d’esprit et à des liens communautaires plus solides.

Dans Democracy as Creative Practice, les éditeurs Tom Borrup et Andrew Zitcer ont invité les artistes et les créateurs à « proposer des solutions artistiques aux menaces qui pèsent sur les démocraties du monde entier, des pratiques qui peuvent rendre nos sociétés plus justes et plus équitables. »[i] Dans l’introduction à la seconde partie de l’ouvrage, consacrée aux stratégies esthétiques, Diane Ragsdale et Shannon Litzenberger écrivent :

« …chacun des chapitres de cette seconde partie présente des expériences et des processus artistiques comme mécanismes pour unir les gens au-delà des clivages autour de questions polarisantes ou controversées. Ces derniers se penchent intentionnellement sur des voix historiquement sous-représentées et encouragent l’expression de points de vue divergents pour favoriser une culture plus démocratique, que nous conceptualisons ici comme “exercer le pluralisme” [rehearsal for pluralism]. »[ii]

Les arts et la culture peuvent servir de catalyseurs puissants pour favoriser l’engagement citoyen en incitant la population à dépasser les modèles de précarité et de concurrence, et à adopter un esprit de prospérité et de collaboration. Cela implique de valoriser et de rémunérer adéquatement les artistes pour leur rôle essentiel dans les processus démocratiques. Il faut aussi reconnaitre les avantages plus larges de la participation culturelle, comme une plus grande implication civique et une cohésion sociale accrue. En intégrant les artistes et les pratiques créatives aux processus formels de mobilisation et de concertation, nous pouvons restaurer la confiance dans les institutions et renforcer les liens avec la communauté. Les artistes ne sont pas simplement des producteurs de biens culturels, ils font également partie du corps civique. Il est essentiel que chaque membre de cette communauté s’implique activement pour construire des collectivités accueillantes et dynamiques.

 

Patti et le Centre de politique culturelle remercient l’équipe de DemocracyXChange et les personnes qui ont participé au panel : Sarah Yaffe (Mass LBP) ; Sara Udow (Monumental) ; Pat Tobin (Ville de Toronto) ; et Kelly Wilhelm (Centre de politique culturelle).


[i] Tom Borrup et Andrew Zitcer. Democracy as Creative Practice: Weaving a Culture of Civic Life. Routledge, 2024, 1

[ii] Diane Ragsdale et Shannon Litzenberger, “Introduction to Aesthetic Strategies”, Democracy as a Creative Practice: Weaving a Culture of Civic Life. Ed. Borrup et Zitcer. Routledge, 2024, 78