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Blogue | Construire des communs numériques de l'IA pour l'avenir du Canada

Blogue | Construire des communs numériques de l'IA pour l'avenir du Canada

Par Ana Serrano, Présidente et vice-chancelière de l'École universitaire d’Art et de Design de l’Ontario

Building an AI Commons for Canada’s Future

Internet a toujours été un paradoxe : il a connecté les gens et les idées comme jamais auparavant, mais il a également concentré le pouvoir entre les mains de quelques entreprises, nous a rendus dépendants de certaines plateformes et a affaibli la confiance dans la démocratie. Dans les années 1990, le monde a eu l'occasion d'en faire un véritable bien commun numérique, mais il ne l'a pas fait. Avec l'IA, le Canada a maintenant une deuxième chance. La question est de savoir si nous saurons agir différemment cette fois-ci.

Lorsque le ministre de l'Innovation, Evan Solomon, a pris la parole à l'Empire Club au sujet de l'approche du Canada en matière d'intelligence artificielle, j'ai entendu des échos de cet optimisme d'antan. En 1997, je cofondais le CFC Media Lab, l'un des premiers laboratoires canadiens consacrés aux médias interactifs et numériques. À peu près à la même époque, je comparais devant le CRTC pour faire valoir que l'Internet ne devait pas être soumis à une réglementation stricte. Nous voulions laisser de la place à la créativité et à l'innovation. Nous croyions en la promesse d'un Internet démocratisant.

Mais cet optimisme ignorait que quelques entreprises deviendraient des monopoles et que la surveillance émergerait comme le modèle commercial le plus rentable d'Internet. Nous ne pouvons pas nous permettre de refaire cette erreur.

La souveraineté ne se limite pas aux infrastructures

Il faut reconnaître au Ministre Solomon le mérite d'avoir pris conscience de cette tension. Il a appelé le Canada à « se dépêcher lentement » et a annoncé la création d'un groupe de travail et la tenue de consultations publiques. Il a également fait de la souveraineté numérique un pilier central de l'approche du gouvernement, promettant de nouveaux centres de données et une puissance de calcul accrue pour aider les entreprises canadiennes à être compétitives. Ces mesures sont nécessaires. Mais la souveraineté ne se limite pas à la présence de serveurs sur le territoire canadien ou à la conservation de la propriété intellectuelle au pays. Il s'agit également de façonner la culture autour de la construction et du partage de l'IA dans ce pays.

Cela nécessite quelque chose que nous avons déjà construit lorsque c’était important : des communs.

À quoi ressemble des communs numériques de l’IA canadiens

Par « communs numériques de l’IA », j'entends une infrastructure publique – calcul, données, outils et éducation – largement accessible afin que les Canadiens ne soient pas seulement des utilisateurs, mais aussi des créateurs. Des communs numériques de l’IA signifie traiter l'IA comme une infrastructure partagée, suffisamment ouverte pour que tout le monde puisse l'expérimenter, l'adapter à son contexte et s'en servir pour construire.

Le Canada a toujours construit pour l'usage public lorsque les enjeux étaient importants : soins de santé publics, Radio-Canada, réseaux numériques communautaires dans les régions éloignées. La force du Canada provient des institutions publiques qui ont donné à chacun un rôle à jouer, et non seulement aux monopoles privés au sommet. D'autres pays sont déjà en mouvement. En Chine, les gouvernements locaux enseignent l'IA dans les écoles. En Europe, un consortium public construit des modèles linguistiques en codes sources libres que tout le monde peut utiliser. Et à l'échelle mondiale, des initiatives telles que le Public AI Network font progresser une vision similaire : l'IA comme infrastructure civique, régie publiquement, formée de manière éthique uniquement à partir de données fournies librement et accessibles en permanence en tant que bien commun.

Les 2,4 milliards de dollars canadiens sont prometteurs, mais partiels. Ils ne constituent pas encore des communs, qui relieraient les infrastructures, l'éducation, la gouvernance et le libre accès grâce à la combinaison d'investissements publics, de marchés publics et de partenariats qui a permis de construire nos institutions nationales.

Des communs numériques de l’intelligence artificielle ne sont pas un programme unique. Il s'agit d'un cadre visant à garantir que les avantages soient largement partagés. Dans la pratique, cela se traduit par trois engagements interdépendants :

  1. Accès et éducation. Les infrastructures n'ont d'importance que si les gens peuvent les utiliser. Cela implique de mettre les outils de l'IA à la disposition des Canadiens, leur permettre de tester leurs idées dans des contextes réels et leur enseigner non seulement des compétences techniques, mais aussi son éthique, ses limites et ses possibilités. L'éducation est ici au sens large : salles de classe, espaces de création, bibliothèques, lieux de travail et institutions culturelles, afin que chacun puisse explorer l'IA par lui-même et l'adapter à ses propres défis. Comme nous le rappelle Jutta Treviranus, les systèmes les plus résilients sont ceux qui sont conçus depuis les marges. Des communs qui feraient de cette résilience leur point de départ, et non une réflexion après coup.
  2. Soutien à l'innovation pratique. Une grande partie de la valeur de l'IA proviendra de petits gains qui ne feront jamais la une des journaux. Beaucoup d'entre eux ne seront pas réalisés par des géants de la technologie, mais par des équipes plus modestes : artistes, designers, travailleurs culturels, technologues créatifs et PME (qui représentent 98 % des entreprises canadiennes et près de la moitié de notre PIB). Ces petits acteurs repèrent souvent des besoins que d'autres ne voient pas : comment signaler les risques sanitaires précoces dans les cliniques communautaires, comment optimiser la consommation d'énergie dans les réseaux locaux, comment préserver les langues autochtones à l'aide de modèles vocaux. Pour que ces efforts portent leurs fruits, ils ont besoin de ressources partagées qui réduisent les coûts et relient les idées entre les secteurs. Ces communs numériques doivent fonctionner comme un logiciel en code source libre : les solutions locales sont partagées, affinées en commun et redistribuées afin que chacun puisse s'en inspirer. C'est ainsi que l'ingéniosité distribuée peut devenir une capacité collective.
  3. Un système qui intègre la confiance civique. Les dernières évolutions du numérique nous ont montré que les gens continuent d'utiliser une technologie même lorsqu'elle sape la confiance. Mais survivre n'est pas synonyme de légitimité. Le Ministre Solomon a raison de dire que l'adoption progresse à la vitesse de la confiance. Mais la confiance réelle va au-delà de la confiance des investisseurs. Il s'agit de la confiance civique : quand les Canadiens savent que les systèmes qu'ils utilisent sont transparents, sécurisés et responsables. Les communs rend cette confiance réelle en intégrant l'équité et l'ouverture dans l'infrastructure elle-même, sans ajouter d'éthique a posteriori. Les secteurs culturels jouent également un rôle essentiel à cet égard, en aidant le public à comprendre les nouvelles technologies et en veillant à ce que les valeurs d'équité et de pluralisme fassent partie intégrante de leur conception.

Un choix qui nous définit

Des communs numériques de l’IA exigent un changement culturel. Le Canada n'y parviendra pas en gérant l'innovation de manière descendante. Nous y parviendrons en créant les conditions permettant aux Canadiens d'expérimenter et de s'appuyer sur le travail des autres. Lorsque des outils puissants sont largement accessibles, les agriculteurs et les petits fabricants, les enseignants et les artistes, les hôpitaux et les gouvernements locaux acquièrent tous la capacité de concevoir des solutions adaptées à leurs propres besoins. Repartagés dans le système, ces efforts se traduisent par des communautés plus saines, des entreprises plus solides et de nouvelles formes de créativité enracinées ici. Les communs donnent libre court à ce mélange désordonné, car c'est la culture, et pas seulement le capital, qui donne sa force à la souveraineté.

Nous avons manqué l'occasion de faire d'Internet un véritable bien commun, et nous en subissons encore les conséquences. Il est temps d'exiger mieux. Des communs numériques de l’IA permettraient de faire de l'infrastructure que nous sommes déjà en train de construire la base de quelque chose de plus grand : une large participation, une prospérité partagée, une vitalité culturelle et une confiance civique. C'est le type de souveraineté qui renforce non seulement notre économie, mais aussi notre identité, et qui montre le type de leadership que le Canada peut offrir au monde.

Appel à participation

Le gouvernement fédéral demande actuellement aux Canadiens de l'aider à définir le prochain chapitre du leadership en matière d'IA. Au Centre de politique culturelle de l’École universitaire d’Art et de Design de l’Ontario, nous nous associons à Nordicity pour recueillir les points de vue des secteurs des arts, de la culture et des industries créatives. Nous invitons les artistes, les travailleurs culturels et les entrepreneurs créatifs à répondre à notre enquête sectorielle.

En regroupant les réponses, nous soumettrons une contribution coordonnée à la consultation de l'ISDE, afin de garantir que les points de vue de notre communauté soient entendus au même titre que ceux des autres secteurs.

Nous souhaitons recueillir un large éventail de points de vue sur la manière dont le Canada devrait aborder le développement de l'IA, en particulier dans les domaines pour lesquels l'ISDE souhaite recueillir des commentaires : l'accès aux ressources informatiques, la gouvernance responsable, les données et l'innovation, ainsi que la confiance du public. Nous espérons que vous serez nombreux à vous joindre à ce chœur d'idées sur la manière dont les investissements publics dans l'IA peuvent refléter les valeurs, la créativité et la diversité de la société canadienne.

Restez à l'écoute, vous recevrez un courriel avec le sondage dans les prochains jours. Si vous ne suivez pas encore le Centre de politique culturelle, inscrivez-vous ici pour recevoir notre bulletin d'information.