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Blogue | Trump, tarifs et commerce : quels sont les enjeux pour les arts et les industries créatives?

Blogue | Trump, tarifs et commerce : quels sont les enjeux pour les arts et les industries créatives?

Par Kelly Wilhelm et Miriam Kramer

Shipping containers from an aerial view

Le 1er février 2025, le président Trump a mis à exécution sa menace d'imposer des tarifs de 25 % sur un large éventail de marchandises entrant aux États-Unis en provenance du Canada, du Mexique et de la Chine. Lafiche d'information sur le décret publiée par la Maison Blanche invoque « la menace extraordinaire que représentent les étrangers clandestins et les drogues » qui entrent aux États-Unis depuis le Canada et le Mexique pour justifier cette décision. Au moment de la rédaction de l'infolettre, les tarifs ont été suspendus après une conversation entre le président Trump et le premier ministre Trudeau au cours de laquelle ce dernier a réitéré l'engagement du Canada à protéger la frontière.

Les politicologues et les spécialistes des politiques commerciales signalent que l'administration de M. Trump s'apprête à lancer un vaste programme visant à rééquilibrer le commerce mondial en faveur des États-Unis. Les ménages et les entreprises canadiens en ressentiraient les conséquences d'un océan à l'autre.La Chambre de commerce du Canada prévoit que l'imposition de tarifs de 25 % pourrait plonger le Canada dans une récession d'ici le milieu de l'année et coûter jusqu'à 1 900 $ par an aux ménages canadiens. Pour en savoir plus sur les tarifs imposés aux produits canadiens,  lisez cet article de nos collègues du Forum des politiques publiques.

Le gouvernement du Canada a récemment présenté son plan de riposte à ces tarifs et a dressé une liste d'articles sur lesquels il imposerait des contre-mesures tarifaires de 25 %, qui comprend de nombreuses matières premières utilisées par les artistes et des articles liés à la production culturelle. Le gouvernement canadien a également donné l'assurance qu'il était prêt à travailler avec les entreprises pour compenser les effets des tarifs en finançant et en soutenant les travailleurs grâce à l'assurance-emploi. Cette dernière mesure risque de ne pas être d'un grand réconfort pour les artistes et les travailleurs culturels, dont beaucoup peinent à remplir les conditions d'admissibilité au programme d’assurance-emploi. 

Quels sont les enjeux pour les arts et les industries créatives au Canada à l'approche des négociations tarifaires et d'un programme commercial plus vaste?

Les industries des arts, de la culture et de la création ont des retombées économiques importantes au Canada et dans chaque province. Selon une étude de Hill Strategies sur les indicateurs culturels nationaux de Statistique Canada, les industries de la culture et de la création ont contribué 61 milliards $ au Canada rien qu’en 2023. Une autre étude démontre que la culture est un secteur d'exportation clé du Canada et de nombreuses provinces. En 2022, les exportations culturelles du Canada ont atteint 24,5 milliards $. Les principaux sous-secteurs, tels que les arts visuels et les arts appliqués (10,3 milliards $) et les médias audiovisuels et interactifs (7,9 milliards $), représentaient 74 % des exportations culturelles cette année-là.

S'ils sont mis en œuvre, les tarifs réduiront presque immédiatement la valeur des exportations culturelles canadiennes et augmenteront les coûts de création et de production au pays. Pour créer l'art et le contenu qui contribuent à ces retombées économiques de plusieurs milliards de dollars, les artistes, les créateurs, les producteurs et leurs pairs engagent des dépenses en matériel, en main-d'œuvre qualifiée et en production. Les coûts d'achat et de production augmenteront, tout comme les coûts d'expédition et de vente des produits canadiens à l'étranger.

Une application soutenue des tarifs aurait des répercussions négatives directes sur les finances des artistes, des créateurs et des petites et moyennes entreprises des industries créatives. Étant donné les liens étroits qui unissent de nombreuses industries culturelles canadiennes à la communauté créative américaine (par exemple, les relations étroites entre Los Angeles et Vancouver en matière de production télévisuelle et cinématographique), une détérioration des relations commerciales pourrait freiner les collaborations entre les entreprises et les institutions culturelles telles que les galeries et les musées, qui collaborent régulièrement à des expositions et à des programmes. Cette situation pourrait, à son tour, compromettre considérablement les possibilités pour les Canadiennes et les Canadiens d'exporter leurs œuvres, de développer leur carrière, d'étendre leurs activités ou de trouver des débouchés auprès de partenaires, de producteurs ou de distributeurs américains.

Un programme commercial plus vaste pourrait démanteler le cadre commercial culturel que le Canada a mis des décennies à établir avec son plus grand partenaire commercial. Les exemptions commerciales prévues dans l'Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM) seront sans doute compromises sous l'administration de M. Trump lors de la renégociation de l'accord. La renégociation est prévue pour 2026, mais pourrait avoir lieu plus tôt compte tenu des mesures de M. Trump. Deux exemptions de l'ACEUM sont à surveiller :

  1. Exemption générale pour les industries culturelles : Grâce à cette exemption négociée pour la première fois dans le cadre de l'accord initial de l'ALENA, le Canada conserve la capacité de mettre en œuvre des politiques telles que des quotas de diffusion, des programmes de financement et des règlements pour soutenir les artistes et les créateurs canadiens sans être restreint par l’accord. L'exemption vise des industries telles que l'édition, la production cinématographique, la distribution de musique et la radiodiffusion et la télédiffusion. Sans cette exemption, le Canada pourrait ne pas être autorisé à mettre en place des politiques qui pourraient être considérées comme discriminatoires envers les industries créatives américaines cherchant un accès libre au marché canadien. La perte de l'exemption des industries culturelles dans le cadre d'un nouveau cycle de négociations aurait des conséquences désastreuses pour les industries créatives, les artistes et les créateurs, ainsi que pour la souveraineté culturelle du Canada.
  2. Exemption des biens et services numériques : l'ACEUM interdit les tarifs sur les produits numériques, ce qui favorise la libre circulation de produits tels que les jeux vidéo, les livres électroniques et autres produits culturels numériques sans droits supplémentaires. Là encore, si l'ACEUM est renégocié sans cette exemption, les entreprises technologiques créatives et les créateurs canadiens pourraient perdre des revenus et d'importantes occasions de promouvoir leurs produits.

Que faire?

Nous traversons une période d'incertitude, et il est difficile de prédire comment et quand les tarifs et autres mesures commerciales entreront en vigueur. Dans l'intervalle, nous pouvons mettre de l'ordre dans nos affaires, soutenir les entreprises artistiques et créatives canadiennes et nous asseoir à la table des négociations commerciales.

Premièrement, nous pouvons dire clairement que la mention « Achetez canadien » doit inclure la culture. Les Canadiennes et Canadiens peuvent soutenir les arts et les industries créatives pendant cette période, par exemple en achetant des œuvres d'artistes et d'artisans locaux, en lisant des revues et des livres canadiens (surtout s'ils sont vendus dans des librairies appartenant à des intérêts canadiens), en regardant des productions canadiennes en diffusion continue ou au cinéma, en écoutant des artistes canadiens et en s'abonnant à des services numériques appartenant à des intérêts canadiens comme APTN Lumi, Crave, Gem ou ICI TOU.TV.

Deuxièmement, nous pouvons renforcer le commerce interprovincial. Les chambres de commerce provinciales et les commentateurs culturels comme Zainub Verjee y voient une occasion de renforcer le commerce interprovincial. Il en va de même pour la Chambre de commerce du Canada, qui a lancé un appel aux dirigeants canadiens pour qu'ils fassent l'imprévisible : s'unir pour collaborer et mettre rapidement en œuvre un nouveau plan global multipartite pour le commerce, qui engage le gouvernement du Canada à tenir sa promesse en matière de commerce intérieur. Ces stratégies visent à renforcer les entreprises canadiennes de tous les secteurs. Les industries artistiques et créatives peuvent et doivent être présentes à ces tables : en tant que moteurs économiques et créateurs de la propriété intellectuelle qui traduit la souveraineté culturelle du Canada en période de menace existentielle.

Enfin, la façon dont cette situation évoluera aura des conséquences économiques et culturelles considérables pour le pays. Les gouvernements successifs, épaulés par le secteur et la société civile, ont travaillé d'arrache-pied pendant des décennies pour créer et protéger un espace réservé aux voix canadiennes et à nos histoires. Quelle que soit la voie que nous choisirons, comme l'a déclaré la Chambre de commerce du Canada, nous devons faire preuve d'un engagement total qui inclut la culture.